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Actualité
28 février 2025

"Comme si on découvrait Les Quatre Saisons pour la toute première fois" : conversation avec Théotime Langlois de Swarte

 

Ce printemps, le violoniste virtuose Théotime Langlois de Swarte dirige Les Quatre Saisons de Vivaldi avec les musiciens des Arts Florissants lors d'une tournée de 21 concerts en Amérique du nord, pour célébrer le 300e anniversaire de la partition. Avant de partir pour cette aventure exceptionnelle, il évoque ici avec nous sa perception personnelle de cette musique ainsi que son parcours "Arts Flo"...

Pourquoi jouer aujourd’hui Les Quatre Saisons de Vivaldi, 300 ans après leur publication en 1725 ? 

Théotime Langlois de Swarte : J’ai toujours beaucoup aimé Les Quatre Saisons. Je les écoutais déjà quand j’étais enfant puis adolescent – on pourrait même dire que c’est en partie grâce à ces concertos que je suis devenu violoniste ! Il y a chez Vivaldi une énergie folle, une inventivité mais aussi toutes une palette de couleurs qu’il utilise pour dépeindre les différents aspects de la nature. Sa musique peut être à la fois très contemplative et particulièrement expressive ; introspective, et ouverte sur le monde. En cela, elle a une dimension existentielle et donc intemporelle : elle invite à nous interroger sur notre existence même, en parlant à nos sens pour évoquer le cycle de la vie. 

Ce qui me touche aussi, c’est qu’il s’agit d’une œuvre extrêmement populaire, dans le bon sens du terme. Pour moi, les concertos des Quatre Saisons comptent parmi les grands chefs-d’œuvre baroques du XVIIIe siècle, en partie parce qu’ils sont extrêmement originaux pour l’époque : une musique instrumentale à programme, composée à partir de poèmes, ce n’était pas courant ! C’est à cette originalité que Les Quatre Saisons doivent leur l’immense renommée – cette même renommée qui, aujourd’hui, nous donne le sentiment que cette œuvre n’est plus du tout originale. Mais au moment de l’écriture, elle était très révolutionnaire, comme le montre le fait qu’elle ait trouvé une résonnance dans toute l’Europe. 

Aujourd’hui, Les Quatre Saisons sont peut-être victimes de leur succès et un peu dépossédées de leur saveur première. C’est pour cela que j’ai envie de les jouer : pour faire entendre au public une version qui essaie de se retransmettre les idées originales de Vivaldi, de manière assez brute, sans filtre esthétisant. Comme si on découvrait Les Quatre Saisons pour la toute première fois. 

En tant que musicien, pourquoi aimez-vous jouer cette musique ? 

TLS : Ce que j’aime avant tout, c’est la vocalité de l’écriture instrumentale. Qui dit voix, dit aussi opéra, ou comment raconter une histoire en émettant sons qui vont toucher l’auditeur. Ce qui est extraordinaire pour moi dans Les Quatre Saisons, c’est qu’il s’agit sans doute de l’une des œuvres les plus opératiques pour le violon au 18e siècle. On y trouve une trame narrative qui nous emporte dans une dramaturgie très caractéristique de l’époque. Il s’agit de s’emparer d’un affect, d’un ressenti d’une manière parfois très frontale, très brute, pour l’exprimer dans une musique qui peut être assez simple harmoniquement mais qui demeure toujours particulièrement expressive. Chaque mouvement musical communique alors un message précis, extrêmement clair. C’est comme un décor de théâtre, d’un acte à un autre : quand on change de mouvement, on change de décor. Tout cela pour raconter une histoire faite de consonnes et de voyelles, qui imitent le bruit de la nature – sans avoir à passer par la parole ! 

Et puis, il y a la rythmicité de cette musique et son rapport à la danse. La danse est une composante culturelle extrêmement importante de l’époque – on peut même dire qu’elle est la colonne vertébrale rythmique de la musique baroque. Les rythmes des Quatre Saisons correspondent à ceux de danses du 18e siècle et, par-delà le temps, il y a là quelque chose qui nous emporte, nous entraîne. Cela me touche, personnellement. Mais je pense que cela peut aussi toucher tout le monde, même aujourd’hui, puisque ce sont les mêmes principes que l’on retrouve dans la musique pop actuelle. 

Comment votre expérience avec Les Arts Florissants vous a-t-elle nourri en tant que musicien ? 

TLS : J’ai fait mes premiers pas aux Arts Florissants grâce au programme Arts Flo Juniors, qui m’a permis de participer à des concerts avec eux alors que j’étais encore étudiant au Conservatoire national supérieur de Paris. Après des années à jouer dans l’orchestre, j’ai commencé à participer à des projets de musique de chambre, puis comme soliste et en duo avec William Christie. 

Ce qui m’a beaucoup inspiré et qui m’inspire toujours dans la démarche des Arts Florissants, c’est le rapport à l’interprétation comme un geste artistique absolu. Nous ne nous situons pas dans une pseudo recherche d’authenticité, mais bien dans une interprétation personnelle qui touche à notre vécu, notre sensibilité : nous nous approprions cette musique du passé pour la révéler au moyen de ce que nous ressentons, aujourd’hui. Cela crée une sorte de dialectique, où la musique est en perpétuelle recréation. Même si elle a été créée il y a 300 ans, elle redevient dans l’interprétation un langage résolument actuel. C’est très fort, comme geste artistique. Fascinant, même. Par ailleurs, la question de la vocalité, que j’évoquais plus tôt, fait aussi partie de mon apprentissage aux Arts Florissants. Tout cela, je le tiens de William Christie, à 100%. 

Pour moi qui ai l’occasion de travailler avec différents ensembles, il est clair que la manière de jouer aux Arts Florissants est tout à fait singulière. Ce n’est pas pour rien qu’on parle du « son Arts Flo » ! Cela tient sans doute à notre vécu, à nos souvenirs sonores ou des modes de jeu… il a beaucoup de travail sur la texture du son, tout en essayant de garder toujours beaucoup de finesse, en même temps qu’une certaine ampleur dans le jeu qui, dans la salle, donne un son chatoyant. C’est assez magique – bref : c’est « Arts Flo » ! 

Cette grande tournée nord-américaine s’annonce exceptionnelle par son intensité autant que par l’étendue du territoire que vous allez parcourir et la diversité des publics que vous allez rencontrer : qu’attendez-vous de cette expérience ? 

TLS : On ne se lasse jamais d’entendre cette musique en concert. Les Quatre Saisons suivent une vraie dramaturgie, avec un début, une fin – la naissance, la mort… à chaque fois que nous les rejouons, nous sommes pris dans cette histoire. De telle sorte que même si je les ai déjà beaucoup jouées, je trouve toujours beaucoup de plaisir à les retrouver. 

Mais surtout, je pense qu’il s’agit d’une porte d’entrée formidable pour découvrir la musique baroque et même la musique classique en général. Pour moi, les grandes œuvres sont nos porte-étendards. Il y a bien sûr de grandes œuvres méconnues, qui ne demandent qu’à être redécouvertes ; mais je crois que les gens ont aussi besoin de pouvoir se raccrocher à une chose avec laquelle ils ont déjà une relation. C’est d’ailleurs cela qui est formidable avec Les Quatre Saisons : tout le monde en a déjà entendu un extrait quelque part, que ce soit dans une publicité, un film, dans une chanson pop ou encore dans un sample… c’est une musique qui touche tout le monde. L’entendre en vrai pourrait être le premier pas vers beaucoup d’autres découvertes – et moi, c’est cela qui me touche !

Propos recueillis par Marie Lobrichon